Remember …
A deux jours de rentrer, je ne voyais pas l’intérêt de dresser ce qui pourrait ressembler à un bilan. On rentre. C’est fini. Point barre, on passe à autre chose. Et puis finalement… un réveil pluvieux d’avant veille de départ en Nouvelle-Ecosse en a décidé autrement.
La pluie tambourine le pare-brise, nos yeux en viendraient même à pleurer aussi. En fin de compte, ce gros temps triste nous fait prendre conscience du chemin parcouru. Le nombre de jours pluvieux où il nous a fallu transformer l’essai pour ne pas subir, le nombre de fois où il a fallu ne pas laisser nos humeurs plomber le groupe, combien de fois avons nous dû faire des choix vers l’inconnu, se faire confiance, gérer le stress sans nervosité, compter sur l’autre. En fin de compte, ce voyage c’était surtout une aventure humaine qui a fait développer complicité, confiance et développement personnel. Le reste, c’était d’une facilité déconcertante surtout pour les flemmards que nous sommes. C’était comme jouer à la dinette. Notre quotidien devenant une scène de jeu rêvée pour grands enfants avec quelques règles d’or tout de même !
Plus qu’un changement, nous percevons après un an sur les routes une nouvelle faculté d’adaptation. Et bien entendu, un regard nouveau sur notre environnement. Surement plus pessimiste d’ailleurs. Il ne s’agit pas simplement de s’habituer au goût du Nescafé lyophilisé ou de respirer l’odeur des toilettes sèches abandonnées, c’est plutôt une adaptation à un mode de vie. Une vie de nomade. Notre budget étant l’un des principaux indicateurs. Même en ayant passés les derniers mois en Amérique du Nord, nous avons réduit de moitié nos dépenses mensuelles (1000€/mois), consommés seulement 10L d’eau/jour, usé jusqu’à la corde nos fringues recyclant des chaussures égarées, supporté nos défauts H24, parlé couramment deux langues vivantes, cuisiné sur du tout-terrain, utilisant toutes eaux à nos usages quotidiens et passant des heures à rouler sans jamais se plaindre.
Après un an de vie sur les routes ?
Après 12 mois de nomadisme si bien ancrés, le retour à une vie sédentaire interroge. Il interroge tout le monde d’ailleurs. Etant les 1ers concernés, nous devrions avoir des bribes de réponses. Mais en fait non. Tant que nous n’y serons pas, nous ne savons pas. Au pire, nous pouvons l’imaginer :
Près de 50 000km au compteur, 18 passages de frontière, 9 pays traversés et 245 paysages différents au réveil, nous avons maintenant la bougeotte. Faire désormais le même chemin 5j/7 risque de poser problème au début mais la routine est si forte que ça ne durera pas bien longtemps. Plus qu’au mouvement, c’est plutôt à un nouveau quotidien auquel il va falloir s’habituer alors qu’un an plus tôt, il nous avait fallu l’appréhender : réduire notre consommation d’eau, faire équipe, chercher où passer la nuit, se rendre disponible, réduire l’espace de vie individuel et collectif, dépasser la barrière de la langue… Pour résumer, il nous a fallu sortir de notre zone de confort. Et demain, il va nous falloir y entrer à nouveau. Avec la vigilance de préserver les bénéfices acquis durant le voyage comme la gestion de nos consommables, l’ouverture à l’autre, le lâcher prise ou la communication. Finalement, ça peut être intéressant !
A creuser davantage, ce que nous appréhendons le plus, c’est de ne plus ressentir les instants de simplicité que nous offrait l’itinérance. Ces moments, si évident, que nous n’étions pas en mesure de les savourer avant. Toute ces choses si banales que nous n’y prêtions plus attention. Et puis, en second temps, c’est notre liberté qui va manquer. Malgré un petit véhicule, nous étions doté d’un espace de vie sans limite !
- Une cuisine tout terrain :
- Des salles de bain écologiques allant des lacs de l’Ontario à la mer de Cortès, la palme des baignoires revenant aux cenotes du Yucatán !
- Des vues de fou toujours à 360°
- Des routes panoramiques quotidiennes : sur 50 000km parcourus, la moitié revient au Canada et aux Etats Unis. Quand 200km prennent 2h en Amérique du Nord, c’était parfois un trajet d’une journée au Guatemala. Les Etats-Unis ont le mérite d’avoir de superbes routes scéniques et le Mexique bat des records avec ses innombrables toppes.
En revanche, on ne va pas se mentir, certaines habitudes ne vont pas nous manquer :
- Faire sa commission, pelle à la main
- Ne plus vérifier les souris dans le moteur au réveil
- Emprunter le PQ des toilettes des potes ou rembourrer son soutif afin de refaire son stock dans les publiques. On pourrait écrire un bouquin sur les toilettes publiques !
- Etre réveillé par une mouche ou le bruit d’un générateur de RV qui s’est incrusté dans la nuit
- Les odeurs de pieds certains jours…
- Expliquer tous les jours que nous sommes français de France et que non, le Mexique n’est pas dangereux !
- Finir les pieds trempés après chaque vaisselle
- Economiser le nombre de tampon sans applicateur offert par son amie. Et oui, ça n’existe pas outre-Atlantique !
- Repousser la prise d’antibio pour économiser la boite
- Chercher le bivouac parfait
- Calculer la durée de vie de son slip avant la prochaine douche
- Discuter l’utilisation d’une liseuse pour deux
- Vider le placard à chaque fois qu’on a besoin d’une casserole
- Chercher un coin à l’abri des regards ou attendre la nuit tombée pour se soulager une dernière fois
- Braver la pluie quand l’envie est pressante au levé du lit
- Transbahuter les affaires de nuits chaque soir
- Se faire chasser par les moustiques lors d’une bonne soirée à la belle étoile
- Et faire leur cimetière avant de se coucher
- Craindre la pluie
- Manquer d’intimité
- Chercher l’inspiration culinaire (valable que sur USA / Canada !)
Une année exceptionnelle
Alors même si nous n’aurons plus à répondre aux questions quotidiennes du genre « On dort où ce soir » ou « Est-ce qu’on roule aujourd’hui ?« , le retour dans un logement fixe ne nous réjouit peu !!
Pendant tout ce temps le van n’aura pas eu une défaillance, pas un problème mécanique, à peine un pneu dégonflé et vite réparé. Il a parfaitement glissé sur toutes les qualités de route même si heureusement de temps en temps nous avons eu quelques frayeurs. Même l’équipage n’aura souffert d’aucun mal mis à part l’indésirable impétigo et quelques rages de dent soignés à coup d’antibiotiques.
Ce voyage c’était aussi une école de la vie. Les rencontres humaines, la diversité géographique, la faune et la flore caractéristiques de chaque climat et des cultures toutes plus curieuses qui font un job éducatif incomparable. La discipline de la classe n’était donc pas vraiment le mot d’ordre de nos journées. Nous sommes restés sur le volontariat. Cette méthode a fait grandir Clémentine qui a pris son Bescherelle pour ami révisant ses tables de conjugaison et poussant plus loin ses acquis. Valentine à l’inverse n’a que trop rarement été volontaire, préférant de loin laisser exprimer de nouveaux centres d’intérêts dans le dessin, la gemmologie et enfin la lecture de roman ! En parallèle de ce volet scolaire, elles ont été extra ! Loin de tout confort, loin des amis, loin de la famille mais positives, enjouées, patientes, aidantes, participatives, impliqués, émerveillées, attendries, et laissant vibrer de nouvelles émotions.
Au delà de tout ce micro-cosmos familial, il y a eu tout le reste :
- Des rencontres qui donnent une dimension inespérée au voyage. Jamais nous n’aurions imaginé rencontrer autant de personnes sur notre chemin. Plus de 40 familles ou couples de voyageurs sans parler des locaux qui à chaque fois nous surprennent par leur hospitalité et leur amour du pays. Toute cette dynamique va manquer…
- Une faune et une flore de dingue. Tandis que les incendies ravagent actuellement l’ouest du Canada et la Californie, nous avons toujours eu des conditions exceptionnelles où la nature émerveille.
- Une nouvelle dimension du monde. Sans s’en douter, « la boucle » de notre itinéraire a eu un effet considérable sur nos perceptions. Une sorte de retour sur expérience accélérée et ultra-formateur. Sur le plan social, écologique, politique ou environnemental, l’état de notre société interroge davantage. Les discours culpabilisants visant à faire réagir les individus n’ont d’effet que sur une minorité déjà consommatrice. Le clivage entre deux mondes est si énorme qu’une transition nous semble parfois illusoire… A l’inverse, la bonté de chaque coeur donne espoir.
- L’immersion prolongée dans 9 pays en une année a apporté une richesse qu’aucun voyage touristique n’aurait permis. La lenteur du voyageur offre une imprégnation tel qu’aujourd’hui le Mexique est dans notre coeur et le Guatemala dans nos rêves.
L’heure est désormais au retour. Plus que jamais depuis cette salle d’embarquement d’Halifax. Tristes mais heureux d’avoir vécu une si formidable expérience de vie… Et surtout prêts à repartir !!! Reste plus qu’à choisir la monture et la destination 😉